Une remarquable analyse du projet de
constitution européenne par Etienne Chouard
Une mauvaise constitution qui révèle un secret cancer de notre démocratie
Etienne Chouard,
professeur de Lycée
Marseille, le 25 mars 2005
Chers collègues et amis,
Après six mois de réflexion intense, se cristallise une argumentation autour
du "traité constitutionnel", à partir de lui mais au-delà de lui, une
argumentation qui n¹est ni de droite ni de gauche, et qui montre un danger
historique pour nous tous, au-dessus de la politique.
Pour ces raisons, cette courte argumentation devrait intéresser les citoyens
de tout bord.
Il y a six mois, en septembre 2004, j¹étais, comme tout le monde, favorable
à ce texte sans l¹avoir lu, par principe, "pour avancer", même si je savais
bien que les institutions étaient très imparfaites.
Je ne voulais pas être de ceux qui freinent l'Europe. Je crois vraiment que
l¹immense majorité des Européens, au-delà des clivages gauche/droite, aiment
cette belle idée d¹une Europe unie, plus fraternelle, plus forte. C¹est un
rêve de paix, consensuel, très majoritaire.
Je n¹avais pas lu le texte et je n¹avais absolument pas le temps : trop de
travail. Et puis l¹Europe c¹est loin, et puis avec tous ces hommes
politiques, je me sentais protégé par le nombre : en cas de dérive, il
allait bien y en avoir quelques uns pour nous défendre et je me dispensais
de "faire de la politique", c¹est-à-dire que je me dispensais de m¹occuper
de mes propres affaires.
Déjà des appels s¹élevaient contre le traité, mais ils venaient des extrêmes
de l¹échiquier politique et pour cette simple raison, je ne commençais même
pas à lire leurs arguments, restant en confiance dans le flot de l¹avis du
plus grand nombre sans vérifier par moi-même la force des idées en présence.
Et puis soudain, des appels sont venus de personnes non suspectes d¹être
antieuropéennes. J¹ai alors lu leurs appels, sans souci des étiquettes, et
j¹ai trouvé les arguments très forts. Je me suis mis à lire, beaucoup, des
livres entiers, de tout bord, Fabius, Strauss-Kahn, Giscard, Jennar,
Fitoussi, Généreux, etc. et beaucoup plus d¹articles
des partisans du traité parce que je voulais être sûr de ne pas me tromper.
Et plus je lis, plus je suis inquiet. Finalement, aujourd¹hui, je ne pense
plus qu¹à ça, je ne dors presque plus, j¹ai peur,simplement, de perdre
l¹essentiel : la protection contre l¹arbitraire.
Je continue aujourd¹hui à lire toutes les interventions, ceux qui sont pour,
ceux qui sont contre, je continue à chercher où est la faille dans mon
raisonnement et le présent texte est un appel à réfléchir et à progresser :
si vous sentez une faille, parlons-en, s¹il vous plaît, tranquillement,
honnêtement, c¹est très important. Je peux me tromper,
je cherche sincèrement à l¹éviter, réfléchissons ensemble, si vous le voulez
bien.
Je sens que c¹est ma mission de professeur de droit d¹en parler un peu plus
que les autres, d¹en parler avec mes collègues, mais aussi à mes élèves,
aussi aux journalistes. Je serais complice si je restais coi.
J¹ai ainsi trouvé plus de dix raisons graves de s¹opposer à ce texte
extrêmement dangereux, et encore dix autres raisons de rejeter un texte
désagréable, pas fraternel du tout en réalité. Mais les cinq raisons les
plus fortes, les plus convaincantes, celles qui traversent toutes les
opinions politiques, parce qu¹elles remettent en cause carrément la
possibilité d¹avoir une réflexion politique, me sont apparues tardivement
car il faut beaucoup y réfléchir pour les mettre en évidence. Ce sont ces
raisons-là, les cinq plus importantes, sur lesquelles je voudrais attirer
votre attention et solliciter votre avis
pour que nous en parlions ensemble, puisque les journalistes nous privent de
débats publics.
Dans cette affaire d'État, les fondements du droit constitutionnel sont
bafoués, ce qui rappelle au premier plan cinq principes transmis par nos
aïeux. Les principes 4 et 5 sont les plus importants.
1. Une Constitution doit être lisible pour permettre un vote populaire : ce
texte-là est illisible.
2. Une Constitution doit être politiquement neutre : ce texte-là est
partisan.
3. Une Constitution est révisable : ce texte-là est verrouillé par une
exigence de double unanimité.
4. Une Constitution protège de la tyrannie par la séparation des pouvoirs et
par le contrôle des pouvoirs : ce texte-là organise un Parlement sans
pouvoir face à un exécutif tout puissant et largement irresponsable.
5. Une Constitution n¹est pas octroyée par les puissants, elle est établie
par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l¹arbitraire des
puissants, à travers une assemblée constituante, indépendante, élue pour ça
et révoquée après : ce texte-là entérine des institutions européennes qui
ont été écrites depuis cinquante ans par
les hommes au pouvoir, à la fois juges et parties.
Premier principe de droit constitutionnel : une Constitution est un texte
lisible.
Le "traité constitutionnel" est beaucoup trop long [1] : 852 pages A4, une
ramette et demie. Cette longueur est unique au monde pour une Constitution,
ce qui la rend simplement illisible.
Cette longueur interdit la critique. C¹est tout sauf un détail.
Les 70 % d¹Espagnols votants qui ont approuvé ce texte, comme les 60 % qui
se sont abstenus, ne l'ont pas lu : ni les ministres, ni les parlementaires,
ni les professeurs, ni les journalistes, ni les citoyens, qui ont tous autre
chose à faire : qui a le temps matériel de
lire 850 pages A4 ?
Il suffit de se poser la question pour soi-même : ce n¹est pas différent
pour les autres.
Ces citoyens prennent ainsi le risque majeur, pour eux, mais aussi pour
leurs enfants et leurs petits-enfants, de découvrir trop tard ce qu'ils ne
pourront plus changer.
Il faut évidemment lire et comprendre ce que l'on signe. Ou bien, on refuse
de signer.
Même s'il était simple (et il ne l'est pas), un texte aussi long ne permet
pas de le juger avec discernement.
Et pourtant, il faut bien avoir un avis. Comment faire pour avoir un avis
sur un texte qu'on ne peut pas lire ? En s¹alignant sur "les autres", on se
rassure, comme les moutons de Panurge.
Cette longueur extravagante est, par elle-même, non démocratique : on
éloigne ainsi les curieux. On observe ces temps-ci comme cette vieille
technique obscurantiste marche bien : l¹unanimisme ambiant repose sur des
malentendus rendus possibles par un texte illisible.
Une Constitution est la loi fondamentale, elle doit pouvoir être lue par
tous, pour être approuvée ou rejetée en connaissance de cause.
N¹est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des
journalistes, de l'expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Deuxième principe de droit constitutionnel : une Constitution est un texte
neutre, elle permet le débat politique sans en imposer l'issue
Une Constitution démocratique n'est pas de droite ou de gauche, elle n'est
pas socialiste ou libérale, une Constitution n'est pas partisane : elle rend
possible le débat politique, elle est au-dessusdu débat politique.
À l¹inverse, ce "traité constitutionnel", en plus de fixer la règle du jeu
politique, voudrait fixer le jeu lui-même !
En imposant dans toutes ses parties [2] (I, II et surtout III) des
contraintes et références libérales, ce texte n'est pas neutre
politiquement, il impose pour toujours des choix de politique économique qui
doivent évidemment dépendre du débat politique quotidien, variable selon la
conjoncture.
Notamment, ce texte confirme pour toujours que l¹Europe se prive elle-même
des trois principaux leviers économiques qui permettent à tous les États du
monde de gouverner : pas de politique monétaire (banque centrale
indépendante, n¹ayant comme seule mission,
constitutionnelle, intangible, que la lutte contre l¹inflation et aucunement
l¹emploi ou la croissance [3]), pas de politique budgétaire (pacte de
stabilité [4]) et pas de politique industrielle (interdiction de toute
entrave à la concurrence [5], donc interdiction d¹aider
certains acteurs nationaux).
C¹est une politique de l¹impuissance économique [6] qui est ainsi
institutionnalisée, imposée pour longtemps.
Ce texte infantilise les citoyens d'Europe : il nous prive tous de l'intérêt
de réfléchir à des alternatives. À quoi bon continuer le débat politique, en
effet, puisque toute alternative réelle est expressément interdite dans le
texte suprême ?
Mise à part la constitution soviétique (qui imposait, elle aussi, une
politique, le collectivisme), cette constitution partisane serait un cas
unique au monde.
N¹est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des
journalistes, de l'expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Troisième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique
est révisable
Le "traité constitutionnel" est beaucoup trop difficilement révisable [7] :
pour changer une virgule à ce texte, il faut d'abord l'unanimité des
gouvernements pour tomber d'accord sur un projet de révision, puis il faut
l'unanimité des peuples (parlements ou référendums) pour le ratifier.
Avec 25 États, cette procédure de double unanimité est une vraie garantie
d'intangibilité pour les partisans de l'immobilisme. Ce texte est pétrifié
dès sa naissance.
C'est inacceptable pour une Constitution
et ce
serait, là encore, un cas unique au monde.
Mettre en avant le mot "traité" pour prétendre que l'unanimité est normale
(ce qui est vrai en matière de traités) est malhonnête : cette supercherie
de l'oxymore "Traité constitutionnel" (assemblage de mots contradictoires)
permet ainsi, en jouant sur les mots, de créer une nouvelle norme suprême en
s'affranchissant de la lourde procédure
constituante.
Le traité de Nice est temporaire (horizon 2009). Le "traité
constitutionnel", lui, est exécutoire sans limitation de durée [9], et sa
force juridique est supérieure à toutes nos normes nationales (règlements,
lois, Constitution), et même à tous nos traités [10]. Ce
texte n'est évidemment pas un simple traité comme ceux qui l¹ont précédé.
C'est une tromperie de le prétendre.
Au sujet de la révision liée à l¹entrée de la Turquie, la mention dans notre
Constitution nationale du référendum obligatoire pour l'entrée d¹un État
dans l'UE est un attrape-nigaud : en effet, avec le "traité
constitutionnel", notre Constitution nationale devient un texte de rang
inférieur au moindre règlement européen [10] et ne nous protège donc
plus de rien dans tous les domaines où l'Europe prend le pouvoir, c¹est-à-dire
presque partout [11].
D'autre part, ceux qui sont rassurés par l'unanimité requise par le traité
pour l'entrée d'un nouvel État dans l'UE oublient que ce n'est pas
l'unanimité des peuples consultés par référendum : c'est la simple unanimité
des 25 représentants des gouvernements [12] (dont beaucoup ne sont pas élus,
et dont aucun ne l'est avec le mandat de décider sur ce
point essentiel), ce qui est très différent.
Donc, avec ce "traité constitutionnel", rien ne peut garantir que les
peuples seront directement consultés dans cette affaire turque, ni dans les
suivantes. Tout indique au contraire que la volonté des peuples compte de
moins en moins pour ceux qui les gouvernent.
Le lancement récent des négociations avec la Turquie, alors que de nombreux
sondages révèlent une opposition massive à cette intégration, montre bien le
peu de cas que font les hommes au pouvoir de leur opinion publique quand ils
n'ont pas de compte à rendre. Hors la garantie des textes supérieurs, point
de garantie.
N¹est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des
journalistes, de l'expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Quatrième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique
garantit contre l'arbitraire en assurant à la fois la séparation des
pouvoirs et le contrôle des pouvoirs
L'esprit des lois, décrit par Montesquieu, est sans doute la meilleure idée
de toute l'histoire de l'Humanité : tous les pouvoirs tendent naturellement,
mécaniquement, à l'abus de pouvoir. Il est donc essentiel, pour protéger les
humains contre la tyrannie, d'abord de
séparer les pouvoirs, et ensuite d'organiser le contrôle des pouvoirs : pas
de confusion des pouvoirs, et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs.
Ainsi le peuple dit : « Toi, tu fais les lois, mais tu ne les exécutes pas.
Et toi, tu exécutes les lois, mais tu ne peux pas les écrire toi-même. »
Ainsi, aucun pouvoir n¹a, à lui seul, les moyens de devenir un tyran.
« D¹autre part, si l¹un des pouvoirs estime que l¹autre a un comportement
inacceptable, il peut le révoquer : l¹assemblée peut renverser le
gouvernement, et le gouvernement peut dissoudre l¹assemblée. Dans les deux
cas, on en appelle alors à l¹arbitrage (élection) du peuple qui doit rester
la source unique de tous les pouvoirs. »
C¹est ça, la meilleure idée du monde, la source profonde de notre quiétude
quotidienne.
Foulant aux pieds ces principes fondateurs de la démocratie, le "traité
constitutionnel" entérine au contraire l'attribution de tous les pouvoirs au
couple exécutif Conseil des ministres + Commission : c¹est ainsi que le
pouvoir législatif (l¹exécutif européen a l¹exclusivité de l'initiative des
lois ! [13]), le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire (c'est l¹exécutif
qui intente, ou pas, les actions en justice aux fins de respect de la
Constitution [14]) sont dans les mêmes mains !
Avec la confusion des pouvoirs, c¹est un premier rempart essentielcontre la
tyrannie qui nous échappe !
Avec une certaine cohérence, ce texte prive aussi le Parlement européen des
pouvoirs élémentaires et essentiels que lui confère pourtant
traditionnellement son élection au suffrage universel direct : le parlement
européen n'a pas l'initiative des lois.
Ceci est un vice rédhibitoire, absolument pas négociable. Si on laisse
passer ça, on est fous.
Le Parlement européen n'a également aucun moyen sérieux de contrôler et
d'infléchir la politique menée par l'exécutif. Dans le meilleur des cas, il
légifère en codécision [15]. Il y a même une série de sujets qui lui
échappent totalement ! [16]
Nombreux sont les "responsables" de l'exécutif européen, à commencer par les
commissaires [17], mais surtout le Conseil des ministres, qui créent des
normes contraignantes et n'ont pourtant de comptes à rendre à personne au
Parlement. Un pouvoir immense sans contre-pouvoirs.
Le Parlement européen ne peut pas mettre en cause un commissaire, il ne peut
que révoquer en bloc la Commission et seulement pour un usage pénal, pas
pour sanctionner la politique de la commission, ce qui limite
considérablement son influence. Le Parlement européen ne peut pas renverser
le Conseil des ministres , qui est donc absolument
irresponsable.
Exemple de la toute puissance des commissaires : le commissaire chargé du
commerce international est le représentant unique de l¹Union dans toutes les
négociations internationales (OMC et autres). À lui seul, cet homme
concentre donc un pouvoir vertigineux. C¹est à ce titre qu¹il négocie l¹AGCS
(Accord général sur le commerce des services, version mondiale de la
directive Bolkestein) au nom de tous les Européens, mais dans le plus grand
secret : il ne rend aucun compte au Parlement des négociations qu¹il mène
sur un accord qui va pourtant profondément changer la vie de tous les
Européens, et le Parlement ne peut pas lui imposer de rendre des comptes
[18]. On peut donc déjà observer des signes tangibles d¹une dérive de type
tyrannique. Et le "traité
constitutionnel" verrouille pour longtemps un déséquilibre institutionnel
qui le permet.
L¹affaiblissement du contrôle parlementaire, c¹est un deuxième rempart
essentiel contre la tyrannie qui disparaît.
C'est ce que, depuis vingt ans, les manuels scolaires des étudiants en
sciences politiques appellent pudiquement le "déficit démocratique" de l'UE.
Un terme bien anodin pour désigner en fait une trahison des peuples, trop
confiants en ceux qu'ils ont désignés pour les défendre.
Toutes les conversations des citoyens devraient analyser ce recul
historique, ce cancer de la démocratie : dans les institutions européennes,
le Parlement, seule instance porteuse de la souveraineté populaire par le
jeu du suffrage universel direct, est privé à la fois de son pouvoir
normatif et de son pouvoir de contrôle, pendant que la confusion des
pouvoirs la plus dangereuse est réalisée dans les mains d'un exécutif
largement irresponsable.
C'est la porte grand ouverte à l'arbitraire.
Comment les analystes et commentateurs peuvent-ils glisser là-dessus comme
si c'était secondaire ? C'est l'Europe à tout prix ? N'importe quelle Europe
? Même non démocratique ? On n'a pas le droit d'en parler sans être qualifié
d¹antieuropéen ?
On nous dit : « ce texte est meilleur qu¹avant, il faudrait être idiot pour
refuser de progresser ». C¹est masquer qu¹avec ce texte, on ne ferait pas
que progresser : on figerait, on bloquerait, on entérinerait, on
renforcerait, on donnerait pour la première fois une caution populaire aux
auteurs du texte qui s¹en sont dispensés jusque-là, on voit pour quel
résultat.
Même mieux qu¹avant, le texte proposé est absolument inacceptable, très
dangereux.
Montesquieu doit se retourner dans sa tombe.
Les partisans du traité présentent comme une avancée majeure le fait que
désormais, avec ce texte, le Parlement votera le budget [19]. Est-ce qu'on
se rend compte de la gravité de la situation ? Aujourd'hui, le Parlement
européen ne vote même pas le budget ! Il faut garder à l¹esprit que, si le
Parlement est faible, ce sont les citoyens qui sont faibles.
L'avancée (réelle) sur le budget est une man¦uvre qui ne doit pas masquer
l'inacceptable faiblesse : si les citoyens valident eux-mêmes que leur
Parlement n'ait définitivement pas l'initiative des lois, ils se font
politiquement hara-kiri.
Triste paradoxe que ces peuples, mal informés, qui accepteraient eux-mêmes
le recul du contrôle parlementaire, c¹est-à-dire du principal rempart qui
les protège de l¹injuste loi du plus fort.
Il deviendrait alors inutile, pour les citoyens, d'avoir une réflexion et
une opinion politique dès lors que disparaîtrait la courroie de transmission
du Parlement (la seule qui transforme nos opinions politiques individuelles
en décisions et en normes juridiques
générales).
Ceux qui claironnent la naissance d'un référendum d'initiative populaire à
l'initiative d'un million de citoyens [20] sont des menteurs ou ne savent
pas lire : le traité ne définit qu'un misérable droit de pétition sans
aucune force contraignante pour la Commission qui n'est qu'invitée à
réfléchir et qui peut parfaitement jeter la proposition à la poubelle sans
se justifier [21].
De la même façon, les beaux principes généraux et généreux, claironnés
partout, privés de leurs modalités pratiques d'application, n'ont pas de
force contraignante et font ainsi illusion.
Partout, ce texte est en trompe-l'¦il pour masquer une maladie mortelle pour
la démocratie : progressivement et subrepticement, en affirmant le contraire
sans vergogne, les exécutifs nationaux, de droite comme de gauche, à
l'occasion de la naissance de l'Europe, sont en train, en cinquante ans, de
s'affranchir du contrôle parlementaire.
Les hommes politiques au pouvoir ne sont pourtant pas propriétaires de la
souveraineté populaire qu'ils n¹incarnent que temporairement : ni le
gouvernement ni le parlement ne peuvent l'abdiquer (ou la confisquer) ; seul
le peuple, lui-même, directement et en connaissance de cause, le peut.
De ce point de vue, les nombreux gouvernements qui ont fait ratifier ce
texte par leur Parlement national [22], plutôt que par leur peuple
(référendum), signent une véritable forfaiture : les peuples de ces pays
sont ainsi privés à la fois du débat et de l¹expression directe qui leur
aurait permis de résister au recul du contrôle parlementaire qui les expose
immanquablement aux tyrans à venir.
C¹est une juste cause d¹émeute [23].
Ce mépris des peuples et de leurs choix réels est très révélateur du danger
qui grandit dans la plus grande discrétion : nos élites, de droite comme de
gauche, se méfient de la démocratie et nous en privent délibérément,
progressivement et insidieusement.
N¹est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des
journalistes, de l'expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Cinquième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique
est forcément établie par une assemblée indépendante des pouvoirs en place
Une Constitution n¹est pas octroyée au peuple par les puissants. Elle est
définie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l¹arbitraire
des puissants.
À l¹inverse, les institutions européennes ont été écrites (depuis cinquante
ans) par les hommes politiques au pouvoir qui sont donc évidemment juges et
parties : de droite comme de gauche, en fixant eux-mêmes les contraintes qui
allaient les gêner tous les jours, ces responsables ont été conduits, c'est
humain, mais c'est aussi prévisible, à une dangereuse partialité.
C'est, là encore, un cas unique au monde, pour une démocratie. Et on observe
les résultats comme une caricature de ce qu'il faut éviter : un exécutif
tout puissant et un Parlement fantoche, une apparence de démocratie avec des
trompe-l'¦il partout, mais un recul réel et profond du contrôle
parlementaire, de la souveraineté des peuples et de la garantie contre
l'arbitraire.
La seule voie crédible pour créer un texte fondamental équilibré et
protecteur est une assemblée constituante, indépendante des pouvoirs en
place, élue pour élaborer une Constitution, rien que pour ça, et révoquée
après.
C'est aux citoyens d'imposer cette procédure si les responsables politiques
tentent de s'en affranchir.
La composition assez variée de la Convention Giscard n'est pas un argument
satisfaisant : cette convention est une mauvaise parodie, on est à mille
lieues d'une Assemblée constituante : ses membres n'ont pas été élus avec ce
mandat, ses membres n'étaient pas tous indépendants des pouvoirs en place,
ils n'avaient pas les pouvoirs pour écrire un
texte équilibré et démocratique : ils ont simplement validé, compilé (et
légèrement modifié) les textes antérieurs écrits par des acteurs à la fois
partisans et partiaux.
La réécriture du texte par les gouvernants au pouvoir, pendant encore une
année après que la Convention a rendu sa proposition, est une énormité de
plus, sous l¹angle constitutionnel [24].
Tous les vices antidémocratiques du "traité constitutionnel" viennent sans
doute de cette erreur centrale, commise depuis l'origine, sur la source du
droit fondamental, qui ne peut être qu'une assemblée constituante
indépendante, élue sur ce seul mandat.
N¹est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des
journalistes, de l'expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Conclusion
Finalement, ce "traité constitutionnel" est un détonateur, un révélateur,
qui met en lumière ce qui se trame discrètement depuis longtemps.
D'une certaine façon, le loup est sorti du bois et les citoyens peuvent
enfin voir le grand danger, et résister.
Une des grandes erreurs, c¹est de faire passer l¹économique avant le
politique, c¹est de confier la barre aux économistes alors qu¹ils devraient
rester dans les soutes pour faire tourner le moteur.
En prônant la liberté comme une valeur supérieure, au lieu de la fraternité,
en détruisant la régulation par l¹État, gardien de l¹intérêt général, pour
instaurer la régulation par le marché, somme d¹intérêts particuliers, les
économistes libéraux s¹en prennent aux fondements de la démocratie pour
affranchir les principaux décideurs économiques de tout contrôle.
La dérégulation systématique menée en Europe (institutions, politique et
verrou de la Constitution), et plus généralement sur la terre entière (OMC,
AGCS, ADPIC) est un recul de la civilisation, un retour vers la barbarie de
la loi du plus fort [25].
Par optimisme, par crédulité, par indifférence, les peuples modernes
laissent s'affaiblir leur bien le plus précieux, très rare sur cette
planète, celui qui conditionne leur sérénité quotidienne : les différentes
protections contre l'arbitraire des hommes forts, depuis le
c¦ur des entreprises (droits sociaux) jusqu'à la patrie (institutions
démocratiques contrôlées et révocables).
La démocratie n'est pas éternelle, elle est même extrêmement fragile. En la
croyant invulnérable, nous sommes en train de la laisser perdre.
Même après le refus de ce texte-là, il faudra se battre pour la garder, et
continuer à militer pour imposer à nos représentants de construire une autre
Europe, simplement démocratique.
Mais ce texte fondateur en trompe-l'¦il est présenté aux citoyens à travers
un débat lui aussi en trompe-l'¦il [26].
De nombreux journalistes, en assimilant les opposants au texte à des
opposants à l'Europe, font un amalgame malhonnête : la double égalité "Oui
au traité = Oui à l'Europe, Non au traité = Non à l'Europe" est un mensonge
insultant, une inversion de la réalité, un slogan trompeur jamais démontré,
fait pour séduire ceux qui n'ont pas lu le traité et qui n'ont pas étudié
les arguments, pourtant très forts, de ceux qui s¹opposent à ce traité
précisément pour protéger la perspective d¹une Europe démocratique.
La responsabilité des journalistes est ici historique : n'y aura-t-il en
France aucun journaliste honnête pour faire écho de façon équitable aux deux
positions proeuropéennes, oui et non ?
N'y aura-t-il en France aucun journal, aucune émission, pour organiserles
débats contradictoires indispensables pour se forger une opinion éclairée ?
C'est, pour l'instant, l'Internet qui est le média le plus démocratique, non
censuré, le meilleur outil pour résister. Si ce message vous semble utile,
diffusez-le vite dans vos propres réseaux et au-delà de l¹Internet, sur
papier.
On ne naît pas citoyen : on le devient.
N¹est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des
journalistes, de l'expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
À l¹heure de choix aussi essentiels, difficiles et dangereux que ceux qui
fondent une Constitution, à quoi servent donc les journalistes ?
À quoi servent les professeurs de droit ?
Étienne Chouard, Marseille.
<http://www.etienne.chouard.free.fr>
BIBLIOGRAPHIE
Parmi les livres et articles que j¹ai lu depuis six mois, tous profondément
proeuropéens, certains aident particulièrement à se forger une opinion
construite et solidement argumentée contre ce texte dangereux, et plus
généralement sur la construction européenne et la dérégulation mondiale :
Raoul-Marc Jennar, « Europe, la trahison des élites », 280 pages, décembre
2004, Fayard : pour un réquisitoire rigoureux et passionnant. Une étude
consternante des rouages européens et des dérives foncièrement
antidémocratiques de cette Europe qui ment tout le temps. Comment la défense
des intérêts privés des grands groupes a d¹ores et déjà pris la place de
celle de l¹intérêt général. Les chapitres sur l¹OMC, l¹AGCS et l¹ADPIC sont
absolument é-di-fiants. Un livre essentiel, à lire d¹urgence.
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, a écrit dans le Monde,
le 11 mars 2005, un article très puissant qui résume parfaitement
l¹essentiel de l¹essentiel : « Qui veut de la post-démocratie ? » :
Raoul-Marc Jennar, « Quand l¹Union Européenne tue l¹Europe », 40 pages,
janvier 2005 : brochure résumant un argumentaire serré contre le "traité
constitutionnel". Également un DVD où Jennar présente lui-même, de façon
pédagogique, très posée, trois exposés sur l¹AGCS, la directive Bolkestein
et le traité constitutionnel. On y sent très fortement la terrifiante
cohérence qui relie ces textes. Documents importants disponibles sur
www.urfig.org.
Jean-Paul Fitoussi, économiste, « La politique de l¹impuissance », 160
pages, janvier 2005, Arléa : un passionnant petit livre d'entretiens avec
Jean-Claude Guillebaud pour comprendre comment l'Europe abandonne sciemment
la démocratie et renonce à l¹intervention économique des États.
Jacques Généreux, économiste, « Manuel critique du parfait européen, les
bonnes raisons de dire "non" à la constitution », 165 pages, février 2005,
Seuil : encore un excellent petit livre, très clair, vivant, incisif, très
argumenté, avec une tonalité à la fois économique et très humaine. Encore un
enthousiasmant plaidoyer pour une vraie Europe !
Yves Salesse, membre du Conseil d¹État, « Manifeste pour une autre Europe »,
120 pages, janvier 2005, Le Félin : un argumentaire précis, rigoureux,
constructif. Agréable à lire et très instructif.
Yves Salesse a également rédigé, lui aussi, un article plus court qui résume
en 10 pages son analyse : « Dire non à la "constitution" européenne pour
construire l¹Europe » :
http://www.fondation-copernic.org/
Ces temps-ci, une source majeure d¹information non censurée, très orientée
politiquement (à gauche), mais absolument foisonnante, est le site portail
www.rezo.net .
J¹y trouve chaque jour au moins un document intéressant.
Bernard Maris, « Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie », novembre
1999, Albin Michel : pour une démonstration de l¹imposture de
"l¹indispensable guerre économique", avec un parallèle très convaincant avec
la guerre de 1914 : comme d¹habitude, la guerre n'est pas inévitable, et
ceux qui poussent à faire la guerre ne sont pas ceux qui se battent et qui
souffrent. Un bel appel à la désertion. À mettre en parallèle avec la
religion de la concurrence (compétition) sans entrave, rabâchée par le
"traité constitutionnel" qui, finalement, monte les États et les peuples les
uns contre les autres, à coups de dumping social, fiscal, et
environnemental.
Joseph E. Stiglitz, « La grande désillusion », 324 pages, sept. 2003, Fayard
: un pavé dans la mare : un grand économiste libéral, patron de la banque
mondiale, qui a travaillé avec les plus grands hommes de ce monde, et qui
décrit en détail le dogmatisme aveugle et criminel des technocrates libéraux
du FMI et ses conséquences sur les économies et
les peuples. Un style soigné, 0% de matière grasse. Un grand bouquin, une
référence. À lire.
Agnès Bertrand et Laurence Kalafatides, « OMC, le pouvoir invisible », 325
pages, juillet 2003, Fayard : un livre palpitant et éclairant pour
comprendre les objectifs et les moyens de cette énorme machine à déréguler
que sont le GATT puis l¹OMC, outils de contrainte pour les États mais jamais
pour les entreprises. Ce livre permet de ressentir fortement la parfaite
cohérence qui existe entre les objectifs et les influences de l¹OMC et ceux
de la construction européenne actuelle.
Pour comprendre la logique d¹ensemble de ce qui prend forme au niveau
planétaire, il faut lire l¹article à la fois terrifiant et lumineux de Lori
M. Wallach, « Le nouveau manifeste du capitalisme mondial », dans Le Monde
Diplomatique de février 1998, à propos de l¹Accord multilatéral sur
l¹investissement (AMI), (une de ces « décisions Dracula », appelées ainsi
parce qu¹elles ne supportent pas la lumière, tellement elles sont évidemment
inacceptables) :
http://www.monde-diplomatique.fr/1998/02/wallach/10055.
On y perçoit clairement, comme grâce à une caricature, la logique qui
sous-tend de nombreux textes et accords essentiels en préparation aujourd¹hui
: AGCS, construction européenne libérale, OMC, ADPIC, directive Bolkestein,
etc. La parenté de tous ces textes devient évidente : un redoutable « air de
famille ».
----------------------------
NOTES
[1] Constitution européenne : Comment se procurer le texte intégral ?
www.constitution-europeenne.fr
À lire avant de voter :
a/ Le traité établissant une Constitution pour l¹Europe - 349 pages.
b/ Les protocoles et annexes I et II - 382 pages. Document nommé ³Addendum 1
au document CIG 87/04 REV 1².
c/ Les déclarations à annexer à l¹acte final de la CIG et l¹acte final - 121
pages. Doc. nommé ³Addendum 2 au document CIG 87/04 REV 2².
Total : 349 + 382 + 121 = 852 pages.
Pourtant, tout n¹y figure pas : des définitions aussi essentielles que celle
des SIEG, services d¹intérêt économique général, (cités aux art. II-96,
III-122, III-166), à ne surtout pas confondre avec les services publics, ne
figurent pas dans les 852 pages : il faut, dans cet exemple, consulter le
"Livre blanc" de la Commission pour apprendre que les SIG et SIEG n¹ont rien
à voir avec les services publics.
Rappel : à titre de comparaison, les Constitutions française et américaine
font chacune environ 20 pages.
[2] Les instructions impératives de type politique sont trop nombreuses pour
les citer toutes. Entre autres, plus de trois cents articles de la partie
III fixent en détail les politiques économiques de l¹Union.
[3] Indépendance et missions de la banque centrale :Art. I-30 :« §1 (S) La
Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des États
membres dont la monnaie est l'euro, qui constituent l'Eurosystème,
conduisent la politique monétaire de
l'Union. §2. Le Système européen de banques centrales est dirigé par les
organes de décision de la Banque centrale européenne. L'objectif principal
du Système européen de banques centrales est de maintenir la stabilité des
prix. Sans préjudice de cet objectif, il apporte son soutien aux politiques
économiques générales dans l'Union pour contribuer à la réalisation des
objectifs de celle-ci. Il conduit toute autre mission de banque centrale
conformément à la partie III et au statut du Système européen de banques
centrales et de la Banque,centrale européenne. §3. La Banque centrale
européenne est une institution. Elle a la personnalité juridique. Elle est
seule habilitée à autoriser l'émission de l'euro. Elle est indépendante dans
l'exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances. Les
institutions, organes et organismes de l'Union ainsi que les gouvernements
des États membres respectent cette indépendance. » ;
Art. III-188 : « ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale
nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent
solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou
organismes de l'Union, des gouvernements des
États membres ou de tout autre organisme. »
[4] Pacte de stabilité :
Art. III-184 (2 pages) et art. 1 du protocole n°10 sur la procédure
concernant les déficits excessifs :
« Les valeurs de référence visées à l'article III-184, paragraphe 2, de la
Constitution sont les suivantes : a) 3 % pour le rapport entre le déficit
public prévu ou effectif et le produit intérieur brut aux prix du marché; b)
60 % pour le rapport entre la dette publique et le
produit intérieur brut aux prix du marché. »
[5] Interdiction de fausser la concurrence : cette interdiction est partout
dans le texte, elle est formelle et contraignante, également à l¹encontre
des services publics :
Art. III-166 :« §1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises
publiques
et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou
exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire à la
Constitution, notamment à l'article I-4, paragraphe 2 [non discrimination],
et aux articles III-161 à III-169 [règles de
concurrence]. §2. Les entreprises chargées de la gestion de services
d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal
sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de
concurrence, dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas
échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui
leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté
dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union. §3. La Commission veille à
l'application du présent article et adopte, en tant que de besoin, les
règlements ou décisions européensappropriés. »
[6] « La politique de l¹impuissance » : voir le petit livre lumineux de
Jean-Paul Fitoussi qui démontre cette dépossession progressive des
responsables politiques par méfiance de la démocratie. Voir surtout le livre
enthousiasmant de Jacques Généreux, « Manuel critique du parfait européen »
qui proteste, lui aussi, contre le sabordage des outils
européens d¹intervention économique, et contre le dogmatisme aveugle qui
soutient cette folie unique au monde.
[7] Procédure de révision : art. IV-443.3 : « Une Conférence des
représentants des gouvernements des États membres est convoquée par le
président du Conseil en vue d'arrêter d'un commun accord les modifications à
apporter au présent traité. Les modifications entrent en vigueur après avoir
été ratifiées par tous les États membres
conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.. »
Rappel
: l¹article 28 de la Déclaration des droits de l¹homme et du citoyen de l¹an
I de la République française (1793) précisait : « Un peuple a toujours le
droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération
ne peut pas assujettir à ses lois les générations futures. »
[9] Durée d¹application du texte : Art. IV-446 : « Le présent traité est
conclu pour une durée illimitée. »
[10] Force supérieure des normes européennes sur toutes les autres normes,
nationales et internationales : art. I-6 : « La Constitution et le droit
adopté par les institutions de
l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci,
priment le droit des États membres. »
Art. I-12 : « §1. Lorsque la Constitution attribue à l'Union une compétence
exclusive dans un domaine déterminé, seule l'Union peut légiférer et adopter
des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire
par eux-mêmes que s'ils sont habilités par l'Union, ou pour mettre en ¦uvre
les actes de l'Union. ».
Parmi les compétences exclusives, voir :
Art.I-13, §1 : « e) la politique commerciale commune. » Les parlements
nationaux sont ainsi totalement dépouillés, par exemple, de la moindre
capacité d¹influencer les accords commerciaux internationaux (AGCS, ADPIC et
autres avatars de l¹OMC), alors que la vie des citoyens est promise à des
bouleversements majeurs à l¹occasion de ces accords qui se préparent dans la
plus grande discrétion.
Art. I-33 : « Les actes juridiques de l'Union :
Les institutions, pour exercer les compétences de l'Union, utilisent comme
instruments juridiques, conformément à la partie III, la loi européenne, la
loi-cadre européenne, le règlement européen, la décision européenne, les
recommandations et les avis.
La loi européenne est un acte législatif de portée générale. Elle est
obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État
membre. La loi-cadre européenne est un acte législatif qui lie tout État
membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux
instances nationales la compétence quant au choix de la forme et des
moyens., Le règlement européen est un acte non législatif de portée générale
pour la mise en ¦uvre des actes législatifs et de certaines dispositions de
la Constitution. Il peut soit être obligatoire dans tous ses éléments et
directement applicable dans tout État membre, soit lier tout État membre
destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances
nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens.
La décision européenne est un acte non législatif obligatoire dans tous ses
éléments. Lorsqu'elle désigne des destinataires, elle n'est obligatoire que
pour ceux-ci.
Les recommandations et les avis n'ont pas d'effet contraignant. »
[11] Liste des domaines où l¹Europe est compétente :
Article I-13 : « Les domaines de compétence exclusive :
§1. L'Union dispose d'une compétence exclusive dans les domaines suivants :
a) l'union douanière ; b) l'établissement des règles de concurrence
nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ; c) la politique
monétaire pour les États membres dont la monnaie est l'euro ; d) la
conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la
politique commune de la pêche ; e) la politique commerciale commune.
§2. L'Union dispose également d'une compétence exclusive pour la conclusion
d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte
législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa
compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des
règles communes ou d'en altérer la
portée. »
Article I-14 : « Les domaines de compétence partagée : (S) §2. Les
compétences partagées entre l'Union et les États membres s'appliquent aux
principaux domaines suivants : a) le marché intérieur ; b) la politique
sociale, pour les aspects définis dans la partie III ; c) la cohésion
économique, sociale et territoriale ; d) l'agriculture et la pêche, à
l'exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer ; e)
l'environnement ; f) la protection des consommateurs ; g) les transports ;
h) les réseaux transeuropéens ; i) l'énergie ; j) l'espace de liberté, de
sécurité et de justice ; k) les enjeux communs de sécurité en matière de
santé publique, pour les aspects définis dans la partie III. (S) ».
[12] Procédure de ratification pour l¹entrée d¹un nouvel État dans l¹UE :
Article I-58 : « Critères d'éligibilité et procédure d'adhésion à l'Union :
(S) §2. Tout État européen qui souhaite devenir membre de l'Union adresse sa
demande au Conseil. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont
informés de cette demande. Le Conseil statue à l'unanimité après avoir
consulté la Commission et après approbation
du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le
composent. Les conditions et les modalités de l'admission font l'objet d'un
accord entre les États membres et l'État candidat. Cet accord est soumis par
tous les États contractants à ratification, conformément à leurs règles
constitutionnelles respectives. »
[13] Exclusivité de l¹initiative des lois pour l¹exécutif :Article I-26 : «
(S) §2. Un acte législatif de l'Union ne peut être adopté que sur
proposition de la Commission, sauf dans les cas où la Constitution en
dispose autrement. Les autres actes sont adoptés sur
proposition de la Commission lorsque la Constitution le prévoit. »
[14] Pouvoir de lancer les procédures judiciaires ou pas :
Article I-26 : « La Commission européenne : §1. La Commission promeut
l'intérêt général de l'Union et prend les initiatives appropriées à cette
fin. Elle veille à l'application de la Constitution ainsi que des mesures
adoptées par les institutions en vertu de celle-ci. Elle
surveille l'application du droit de l'Union sous le contrôle de la Cour de
justice de l'Union européenne. Elle exécute le budget et gère les
programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d'exécution et de
gestion conformément aux conditions prévues par la Constitution. À
l'exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des
autres cas prévus par la Constitution, elle assure la représentation
extérieure de l'Union. Elle prend les initiatives de la programmation
annuelle et pluriannuelle de l'Union pour parvenir à des accords
interinstitutionnels. »
[15] Domaines où le Parlement est habilité à légiférer en codécision
("procédure législative ordinaire" de l¹article III-396) :
Art. I-34, §1 : « Les lois et lois-cadres européennes sont adoptées, sur
proposition de la Commission, conjointement par le Parlement européen et le
Conseil conformément à la procédure législative ordinaire visée à l'article
III-396. Si les deux institutions ne parviennent pas à un accord, l'acte en
question n'est pas adopté. » Pas de liste des domaines de codécision, donc,
apparemment : il faut partir à la pêche dans les 850 pages pour trouver les
articles qui prévoient la procédure législative ordinaire, et donc la
codécision.
Voir la note suivante.
[16] Domaines exclusifs, où l¹exécutif peut légiférer seul :
art. I-34, §2 : « Dans les cas spécifiques prévus par la Constitution, les
lois et lois-cadres européennes sont adoptées par le Parlement européen avec
la participation du Conseil ou par celui-ci avec la participation du
Parlement européen, conformément à des procédures législatives spéciales. »
Ici non plus, apparemment, pas de liste des "domaines réservés à l¹exécutif-législateur"
(Montesquieu souffre sans doute dans sa tombe que cet oxymore ose exister),
donc : il faut partir à la pêche dans les 850 pages pour trouver les
articles qui prévoient une procédure législative spécialeS Ces domaines
étant en quelque sorte une zone franche de contrôle parlementaire, on
aimerait pourtant savoir simplement quelles sont les matières concernées.
Ne trouvant pas ce que je cherchais dans mes 852 pages du texte original,
j¹ai trouvé les explications suivantes sur le site
http://www.assemblee-nationale.fr/12/europe/rap-info/i1710.asp :
« 2) La généralisation de la "procédure législative européenne" :
La Constitution étend sensiblement le champ d'application de la procédure de
codécision, désormais nommée « procédure législative ordinaire », qui place
le Parlement européen sur un pied d'égalité avec le Conseil de l'Union.
Cette extension conduit à un net renforcement des pouvoirs du Parlement
européen puisque 27 domaines d'action de l'Union passent à la procédure
législative, et concernent principalement :
- le marché intérieur (art III-24, III-29, III-32, et III-46-2) ;
- la gouvernance économique et l'Union économique et monétaire (art.
III-71-6 et III-79-5) ;
- la justice et les affaires intérieures (art. III-163, III-166-2, III-167,
III-171, III-172, III-173, III-177) ;
- la Cour de justice (art. III-264, III-269, III-289) ;
- le budget européen (art. III-318, III-319) ;
- les accords commerciaux (art III-217-2) ;
- l'agriculture (art. III-126-1, III-127-2).
Les nouvelles compétences reconnues à l'Union sont toutes soumises à la
procédure législative ordinaire, ajoutant ainsi huit nouveaux domaines dans
lesquels le Parlement européen légifère sur un pied d'égalité avecle Conseil
:
- le sport (article III-182) ;
- la protection civile (article III-184) ;
- la propriété intellectuelle (article III-68) ;
- l'espace (article III-150) ;
- la coopération administrative (article III-185) ;
- les mesures nécessaires à l'usage de l'euro (article III-83) ;
- les sanctions financières contre des personnes ou des groupes criminels
(article III-49) ;
- l'énergie (article III-157).
Dans les domaines qui restent soumis à une procédure législative spéciale,
le Parlement européen obtient néanmoins un renforcement de ses pouvoirs :
- pouvoir d'initiative et dernier mot sur la loi définissant les modalités
d'exercice de son droit d'enquête (article III-235) ;
- procédure d'approbation sur les modalités des « ressources propres »
(article I-53 § 4) au lieu d'une simple consultation ;
- procédure d'approbation sur l'extension des droits liés à la citoyenneté
(article III-13) ;
- pouvoir de consultation dans plusieurs domaines où il n'avait aucun droit
de regard tels que les mesures nécessaires pour faciliter la protection
diplomatique et consulaire des citoyens de l'Union (article III-11).
Par ailleurs, le Parlement européen devra être consulté en ce qui concerne :
- la décision du Conseil d'utiliser la « clause passerelle » (article IV-7
bis) ;
- les mesures concernant les passeports, cartes d'identité, titres de
séjour, protection et sécurité sociale (article III-9) ;
- le régime linguistique des titres de propriété intellectuelle (article
III-68).
Enfin, en matière d'accords internationaux, l'extension de la procédure
législative entraînera la procédure d'approbation pour les accords portant
sur ces domaines (article III-226). »
On reste sur l¹impression qu¹il y a encore des domaines où le Parlement n¹a
« aucun droit de regard » (ça fait froid dans le dos), mais que personne
n¹insiste là-dessus! Quels sont ces domaines ? Ce traité est illisible.
Lu sur
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id¹article=2157 : « Les 21
domaines dont le Parlement est exclu et où le Conseil des ministres décide
seul sont d¹une importance décisive : le marché intérieur, l¹essentiel de la
Politique agricole commune, le Tarif douanier commun, la Politique étrangère
et de sécurité commune, la politique économique, la politique sociale, la
fiscalité... », mais l'auteur, JJ Chavigné, ne donne pas de n° d¹articles
précis. Il faut donc continuer à chercher dans le texte. Inquiétante opacité
du texte suprême.
[17] Seule la Commission peut être renversée par le Parlement, en bloc :
Article I-26, §8 : « La Commission, en tant que collège, est responsable
devant le Parlement européen. Le Parlement européen peut adopter une motion
de censure de la Commission conformément à l'article III-340. Si une telle
motion est adoptée, les membres de la Commission doivent démissionner
collectivement de leurs fonctions et le ministre des Affaires étrangères de
l'Union doit démissionner des fonctions qu'il exerce au sein de la
Commission. ».
Un commissaire peut être « démissionné » par le président de la Commission
(lui-même élu par le Parlement) : art. 1-27, dernier § : «Un membre de la
Commission présente sa démission si le président le lui demande. ».
Mais ni le Conseil des ministres, ni le Conseil européen, ne sont
responsables devant qui que ce soit.
Le Conseil nomme les membres de la Commission (art.1-27 §2), seul le
président de la Commission est élu par le Parlement (art. 1-27 §1). La
Commission, qui est ainsi l¹émanation du Conseil, sa « chose », sert donc de
« fusible » politique face au Parlement, faisant écran auxConseils qui ne
risquent rien.
[18] Voir le détail de l¹humiliation infligée par Pascal Lamy aux
parlementaires qui voulaient consulter les documents préparatoires pour l¹AGCS
dans le livre passionnant de Raoul Marc Jennar, « Europe, la trahison des
élites », pages 64 et s., et notamment 70 et 71. Voir aussi un passionnant
article de Jennar intitulé « Combien de temps encore Pascal Lamy ? », à
propos des deux accords AGCS et ADPIC :
http://politique.eu.org/archives/2004/04/11.html.
[19] Soi-disantes "avancées" pour le Parlement : il va voter le budget et il
y aura davantage de matières où il y aura codécision : le Parlement ne sera
donc plus exclu de presque tout comme avantS On croit rêver.
[20] Noëlle Lenoir, alors ministre française déléguée aux affaires
européennes du gouvernement Raffarin, a déclaré : « il suffira de rassembler
un million de signatures en Europe pour obliger la Commission à engager une
procédure législative » (Le Monde, 30 octobre 2003).
[21] Droit de pétition :
Art. I-47, §4 : « Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins,
ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre
l'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à
soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces
citoyens considèrent qu'un acte juridique de
l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution. La loi
européenne arrête les dispositions relatives aux procédures et conditions
requises pour la présentation d'une telle initiative citoyenne, y compris le
nombre minimum d'États membres dont les
citoyens qui la présentent doivent provenir. »
On est à mille lieues du référendum d¹initiative populaire suisse qu¹on fait
miroiter aux électeurs.
[22] Pays qui ne soumettent pas le "traité" à leur peuple : Italie,
Allemagne, Belgique, Suède, Chypre, Grèce, Estonie. Pays qui ont opté pour
le référendum : France, Royaume-Uni, Espagne, République tchèque, Portugal,
Pays-BasS
[23] RM Jennar à raison : il faut réaffirmer nos fondamentaux et rappeler ce
que proclamait, le 26 juin 1793, l¹article 35 de la Déclaration des droits
de l¹homme et du citoyen de l¹an I : « Quand le gouvernement viole les
droits du peuple, l¹insurrection est pour le peuple et pour chaque portion
du peuple le plus sacré des droits et le plus
indispensable des devoirs ». (« Europe, la trahisonS », p. 218).
[24] Lire à ce propos la position de Pervenche Bérès, membre de la
convention Giscard, coauteur du texte donc, qui renie pourtant le résultat
final tant il a été défiguré par les gouvernements dans l¹année qui a suivi,
et qui appelle finalement à « Dire "non" pour
sauver l'Europe » :
http://www.ouisocialiste.net/IMG/pdf/beresMonde290904.pdf.
[25] Selon la célèbre formule de Lacordaire : "Entre le fort et le faible,
entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la
liberté qui opprime et la loi qui affranchit".
Chacun peut prévoir ce qu¹il adviendra avec des renards libres dans un
poulailler libre.
Les charmes de la liberté débridée sont une chimère, une fable, une
imposture.
[26] Lire les analyses du site Acrimed sur la partialité des médias sur
cette affaire :
http://www.acrimed.org/
Lire aussi l¹article de Bernard Cassen dans Le Monde Diplomatique : « Débat
truqué sur le traité constitutionnel » :
http://www.monde-diplomatique.fr/2005/02/CASSEN/11908.
|